Emancipation, religion : un point de vue marxiste

Publié le par Pascal Morsu

Un texte de discussion interne au NPA.

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Émancipation, religion :
Un point de vue marxiste
« celui qui ne combat pas la religion est indigne de porter le nom de révolutionnaire » - L. Trotsky (« Défense du marxisme »)

Cela fait déjà trois semaines que notre camarades Ilhem Moussaïd, candidate du NPA aux élections régionales, est mise en cause, notamment dans la presse, à cause d'un foulard qui manifeste de façon visible – certains diront ostentatoire – son attachement à la religion.

Il n'est évidemment pas question pour nous de hurler avec la meute. Pas question de mêler nos voix à celles des pseudo-laïques et vrais réactionnaires qui viennent encore récemment de voter la loi Carle [1].

Pas question non plus de suivre la gauche officielle - Aubry, Mélechon et les autres - dans leurs vitupérations contre une candidate « voilée » (l'exagération est évidemment faite à dessein). Il suffira pour illustrer leur hypocrisie de rappeler qu'au sein des exécutifs régionaux où ils siègent, ces braves laïques financent tous à qui mieux mieux les établissements confessionnels.

Ceci étant dit, il n'empêche que la décision de présenter I. Moussaïd est un choix politique qui n'est guère défendable d’un point de vue marxiste.

Il y a plusieurs dimensions à cette affaire. Nous nous concentrerons sur un aspect : le lien qui peut exister entre notre projet d’émancipation anticapitaliste, le marxisme, et la religion.


Le vrai débat

En fait, la décision de présenter I. Moussaïd pouvait être anticipée. Il suffit de lire l'article publié par S. Joshua et J. Fortin dans un Bulletin interne de la commission « Quartiers Populaires » (décembre 2008).

On trouve dans cet article un plaidoyer assez étrange pour la laïcité, conçue comme la possibilité de permettre la cohabitation des croyants de diverses obédiences et des athées. D’emblée, ce texte confond deux problématiques différentes : celle d'un État qui doit rester absolument neutre et celle d'un parti ouvrier, qui a vocation à regrouper sur une projet, un programme défini.

Ses auteurs accordent à l'évidence un soin méticuleux à ne pas laisser apparaître d'hostilité aux religions, d'où la définition du NPA comme parti « laïc, pas antireligieux ». Et ils indiquent :

« (...) la question religieuse ne doit pas faire obstacle à la mobilisation unitaire de la classe des exploité-es (mais ceci ne fait pas débat a priori dans le npa), y compris DANS ses partis (ce qui ferait débat, semble-t-il).  »

Il y a là une nouvelle confusion, entre l’unité de la classe dans les luttes et ce qu’il y a de spécifique dans le projet de construire un parti : celui-ci se délimite par un programme, c'est-à-dire une « compréhension commune des évènements et des tâches ». Dans ce cadre, le matérialisme n’est nullement un supplément d’âme pour intellectuels, mais une méthode sans laquelle le communisme reste au mieux une aspiration un peu vague.

Le problème n'est donc pas là où le croyaient Fortin et Joshua. Le vrai débat consiste à savoir

  • si un parti se fixant pour objectif d'en finir avec le capitalisme est nécessairement antireligieux, et donc

  • s'il est opportun qu'un tel parti se choisisse des porte-paroles affichant leur religiosité (quelle que soit la religion concernée).

Visiblement la question a été débattue dans le Vaucluse. I. Moussaïd évoque la question dans le même bulletin :

« (...) lors d’un rassemblement pendant la campagne européenne de cette année, j’ai pris la parole sur la tribune avec certains militants de notre comité devant l’ensemble du NPA Vaucluse. Après le rassemblement, quelques personnes nous ont reproché d’être visibles avec notre appartenance religieuse, le risque étant de point de vue de véhiculer une image islamique du parti.
Mon sentiment, c’est que là où nous devrions nous réjouir de la diversité au sein du parti, on la craint et la repousse sur la base d’une méconnaissance et de préjugés islamophobes [2]. »

En d'autres termes, des militants du NPA se sont émus du message que nous envoyons au monde du travail en mettant sur le devant de la scène des militants affichant leur appartenance religieuse.

C'est donc en toute conscience que la direction du NPA 84 a ignoré ces réticences et choisi de faire figurer sur nos listes une militante ayant fait ces choix. Elle a visiblement préféré croire qu'en faisant les concessions principielles qu'elle croyait nécessaire, il serait possible d'implanter durablement le NPA dans les « quartiers ». Malheureusement, il est de plus en plus évident que ces concessions se retournent contre le NPA.

Orthodoxie marxiste ?

Une fois n'est pas coutume, Joshua et Fortin nous présentent leurs élaborations relatives au parti « laïc mais pas antireligieux » comme relevant d'une conception marxiste traditionnelle.

« Cette position a pour elle une certaine « orthodoxie » dans l’histoire de ces débats, puisque, sous des formes à chaque fois particulière, elle se retrouve chez Marx, chez Jaurès et aussi chez Lénine et chez Trostki. Elle peut s’appuyer sur la polémique entre Bakounine et Marx, le premier exigeant de faire de l’Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale) une organisation athée, Marx s’y refusant. On peut se référer aussi à Lénine, à Trostki, et, dans les conditions françaises, à Jaurès qui est dans la même filiation, et dont nous défendons la philosophie (...) »[3]

Il faut se féliciter que Joshua et Fortin tentent de définir leur positions par rapport au marxisme, ce n'est pas si fréquent dans le NPA. Notre méthode (celle des marxistes) est de pratiquer une politique de principes, de mettre en œuvre un programme. En aucun cas cette politique ne peut être menée en reniflant l'air du temps et en faisant sienne la position qui apparait comme la plus aisée à défendre – laissons cela aux opportunistes de tous poils, aux adeptes des raccourcis qui finissent régulièrement en impasse.

Malheureusement affirmer n'est pas démontrer. Et le fait est que ni Fortin ni Joshua n'ont estimé utile de faire la démonstration que leur position se situe dans la continuité des positions prises les maitres du marxisme. Dans un autre texte, Joshua écrit même :

« Je ne vais pas encombrer de citations ce texte déjà long. On peut me faire confiance, ou pas. Pour ceux qui auraient des doutes sur mes affirmations, il sera temps de confronter les références plus tard » [4].

En clair, il faudrait le croire sur parole. Tout ceci est-il bien raisonnable ?

« Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée » [5]

On trouvera des tonnes de littérature sur les rapports entre religion et marxisme – inutile de s'appesantir.

Ceci étant, on est bien forcé (on reste confondu d'avoir à le faire) de réaffirmer que la critique de la religion est un acte fondateur du marxisme. C'est dans la critique de la religion que se forme la pensée de Marx, dès l'époque des jeunes hégéliens, et c'est à partir de là qu'il put développer le matérialisme historique et dialectique, en débarrassant la dialectique hégélienne de ses oripeaux idéalistes. Ce n'est donc pas sans raison que dès 1843 (il a alors 25 ans), Marx écrit que

« la critique de la religion est la condition première de toute critique ».

étant entendu que la religion n’est pas seulement une illusion propre à détourner les pauvres de la révolte et que s'en tenir à sa critique ne peut suffire :

« La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple. » [6]

Joshua illustre pourtant son incompréhension dans un autre texte :

« Le principal de ce que dit l’illustre barbu (sic !) dans ce texte est que « exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé à une situation qui a besoin d'illusions » [7]

En clair, pour Joshua, tout combat contre la religion est superflu, voire nuisible. Alors, certes, la critique marxiste de la religion est inséparable de la critique sociale. Mais encore faut-il rappeler que pour « l’illustre barbu » :

« Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé a une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole ».

Cette hostilité à la religion, Marx et Engels la maintiendront jusqu'à la fin. Et jamais ils ne s'en sont cachés. Ainsi, ce dernier parlait de la religion comme d'une « stupidité primitive »[8] en laquelle il voyait un puissant outil de contrôle des masses :

« Maintenant, plus que jamais, le peuple doit être tenu en bride par des moyens moraux, et le premier et le principal moyen d'action sur les masses est et reste encore la religion. De là cette présence majoritaire d'ecclésiastiques au sein des commissions chargées d'administrer les écoles, de là ces dépenses sans cesse grandissantes que la bourgeoisie s'impose pour encourager toutes les espèces de revivalisme, depuis le ritualisme jusqu'à l'Armée du Salut. (...) »[9]

Ce bref rappel (mais on pourrait ajouter des pages et des pages) nous semble établir sans ambiguïté que pour les fondateurs du socialisme scientifique, la religion était bien une forme particulière d'aliénation à laquelle ils étaient particulièrement hostiles.

Fortin et Joshua ont parfaitement le droit, évidemment, de ne pas être d'accord avec ces conceptions. Ils l'ont moins de vouloir utiliser l'autorité de Marx et ses successeurs pour légitimer leurs positions.

Lénine, Luxemburg, Trotsky...

Lors du lancement du débat relatif au foulard, nous n'en avons pas cru nos yeux en voyant arriver des membres du parti, en général connus pour leur extrême modération et leur refus du « dogmatisme », brandir des textes de... Lénine. L'objectif était de nous faire croire que la politique menée dans le Vaucluse répondait aux canons léninistes.

Un camarade du NPA parisien a écrit une réponse convaincante sur le sujet. Elle est fournie en annexe et ne mérite pas de commentaires superflus. Indiquons quand même qu’il vaut mieux lire les textes jusqu’au bout, plutôt que de recourir aux citations sorties dans leur contexte. Lénine n’était certes pas un anarchiste, sur cette question comme sur d’autres - ça se saurait. Mais ce n’était pas non plus un social-démocrate « opportuniste » au point de croire que la religion est une « affaire privée » du point de vue du parti.

Il suffira donc de rappeler que pour Lénine

« Le marxisme considère toujours la religion et les églises, les organisations religieuses de toute sorte existant actuellement comme des organes de réaction bourgeoise, servant à défendre l’exploitation et à intoxiquer la classe ouvrière. »

Quant à R. Luxemburg, elle nous a laissé un certain nombre de travaux, souvent discutables, mais où aucune ambiguïté n'existe quant à son hostilité totale à la religion. Il suffit de se référer à son Anticléricalisme et socialisme pour s'en convaincre.

Enfin, comme on s'en doute, Trotsky défendit des positions similaires :

« éduquer le révolutionnaire doit donc consister, par-dessus tout, à l'affranchir de ces vestiges d'ignorance et superstition que l'on trouve souvent dans une conscience très «sensible». Nous adoptons donc une attitude tout à fait irréconciliable vis-à-vis de tous ceux qui prononcent un seul mot sur la possibilité de combiner le mysticisme et la sentimentalité religieuse avec le communisme. La religion est irréconciliable avec le point de vue marxiste.
Nous pensons que l'athéisme, en tant qu'élément inséparable de la conception matérialiste de la vie, est une condition nécessaire de l'éducation théorique du révolutionnaire. Celui qui croit à un autre monde ne peut concentrer toute sa passion sur la transformation de celui-ci. »[10]

Comment combattre la religion ?

« libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse » - Marx [11]

Reste à savoir comment combattre les religions. C'est sans doute là que le désaccord avec Joshua est le plus béant. Pour lui c'est simple, il suffit de combattre le capitalisme, et pas question de se fâcher avec quiconque pour des broutilles comme la religion :

« il faut non pas chercher à détruire la religion elle-même, mais à « la mettre de côté » pour ainsi dire. » [12]
« (...) ne pas faire de la religion une fracture au sein du prolétariat (pas de parti athée, union malgré les divisions de toutes espèces). »[13]

Poser les problèmes ainsi, c'est renoncer à ce que le NPA ne joue l'un de ses rôles, celui de creuset pour l'éducation populaire. Rappelons que Marx militait pour « libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse »[14]. C'est pourquoi ses successeurs ont fait de la propagande anti-religieuse un des fondements de la politique marxiste. Là encore, revenir à Lénine n'est pas inutile :

« Notre Parti est une association de militants conscients d'avant-garde, combattant pour l'émancipation de la classe ouvrière. cette association ne peut pas et ne doit pas rester indifférente à l'inconscience, à l'ignorance ou à l'obscurantisme revêtant la forme de croyances religieuses.
(...) notre association, le Parti ouvrier social-démocrate de Russie, lors de sa fondation, s'est donné pour but, entre autres, de combattre tout abêtissement religieux des ouvriers..» [15]

Certes, depuis que furent écrites ces lignes, bien des choses ont évolué. Ils n'en demeure pas moins que nous considérons toujours qu'une politique socialiste ne peut se mener sans se heurter à l'influence des cléricaux, de quel bord fussent-ils.

Pour la liberté de culte

Tout ceci ne remet pas en cause le fait que nous sommes pour la liberté de culte. Les adversaires de la religion que nous sommes misent en effet sur la conviction et non la coercition pour en finir avec ces superstitions. Mais encore une fois : ça ne signifie en rien que nous soyons neutres relativement à cette question.

Là encore revenir aux acquis du marxisme n'est pas sans intérêt. C'est à notre connaissance en 1873, que les marxistes furent confrontés la première fois à la question. On sait en effet que les communards blanquistes émigrés à Londres élaborèrent un programme qui disait :

« Dans la Commune il n'y a pas de place pour le prêtre ; toute manifestation, toute organisation religieuse doit être proscrite. »

Bref, il se serait agi d'interdire les manifestations religieuses. Engels exprima avec force son désaccord avec cette méthode maladroite :

« (...) cette exigence de transformer les gens en athées par ordre du mufti est signée par deux membres de la Commune qui ont certainement eu l'occasion de constater que, premièrement, on peut écrire autant d'ordres que l'on voudra sur le papier sans rien faire pour en assurer l'exécution et que, deuxièmement, les persécutions sont le meilleur moyen d'affermir des convictions indésirables ! Ce qui est certain, c'est que le seul service que l'on puisse rendre encore, de nos jours, à Dieu est de proclamer l'athéisme un symbole de foi coercitif et de surpasser les lois anticléricales de Bismarck (...) » [16]

Nous sommes contre la coercition en matière religieuse car le résultat est inverse à celui espéré. Le bilan de la politique menée par le Kremlin dans un pays comme la Pologne le montre d'ailleurs aisément.

Mais encore une fois : ça ne signifie pas qu'il faille être indifférent à la question religieuse.

La religion n'est pas une affaire privée pour le parti

Poursuivons. Pour Joshua et Fortin, évidemment, les convictions religieuses des militants du NPA sont des questions privées qui ne regardent qu'eux.

« le parti n’est ni athée, ni antireligieux. Il est areligieux si l’on peut dire ; plus précisément, il est laïc. Il ne fouille pas les consciences. (...) dans les partis de gauche (réformistes comme révolutionnaires), les croyances demeurent du domaine de la sphère privée. »

Plutôt que nous lancer dans de grandes démonstrations, laissons Marx répondre à Joshua. Il regrettait à propos du programme socialiste allemand (de Gotha) que

« (...) le Parti ouvrier avait là, l'occasion d'exprimer sa conviction que la bourgeoise « liberté de conscience » n'est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse (...) ». [17]

Et à ce propos, Lénine notait :

« On sait que la social-démocratie allemande, au fur et à mesure que la gangrène la gagnait et qu'elle devenait de plus en plus opportuniste, se laissait aller de plus en plus souvent à une interprÉtation erronée et philistine de la célèbre formule : "La religion est une affaire privée" » [18]

Nous ne sondons évidemment pas les consciences de ceux qui veulent entrer au NPA. Mais ce serait être de bien piètres révolutionnaires que de renoncer à convaincre nos camarades que la croyance religieuse relève de la superstition réactionnaire.

Qu'il faille le faire avec mesure et sans outrances – évidemment ! Mais ne pas le faire serait capituler devant une de nos responsabilités : combattre l'influence réactionnaire.

Un parti athée ?

Pour tenter de démontrer que l'orientation de neutralité en matière religieuse qu'il défend est conforme aux canons du marxisme, Joshua est revenu maintes fois sur le refus opposé par ses fondateurs à ce que les partis ouvriers proclament leur athéisme (ce qui est incontestable). Selon lui, sa position

« peut s’appuyer sur la polémique entre Bakounine et Marx, le premier exigeant de faire de l’Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale) une organisation athée, Marx s’y refusant (...) »

Il prouve surtout ainsi qu'il ne comprend pas ce que fut la I° Internationale. On sait en effet que cette organisation était un cadre unitaire permettant au prolétariat de commencer à exister sur la scène politique et regroupant des organisations de natures très diverses, par exemple des syndicats. Comment faire endosser l'athéisme à une telle organisation ? Mais quel rapport avec un parti comme le NPA, qui se fixe pour objectif de rompre avec l'économie de profit ?

Ceci étant, c'est un fait que les organisations marxistes ne se proclament pas non plus athées. Le mieux est sans doute de citer Lénine au lieu de tenter des paraphrases discutables. A la question de savoir pourquoi la social-démocratie russe ne proclamait pas son athéisme, il répondait de la façon suivante :

« Il serait absurde de croire que, dans une société fondée sur l'oppression sans bornes et l'abrutissement des masses ouvrières, les préjugés religieux puissent être dissipés par la seule propagande. (...) Ni les livres ni la propagande n'éclaireront le prolétariat s'il n'est pas éclairé par la lutte qu'il soutient lui-même contre les forces ténébreuses du capitalisme. L'unité de cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur la terre nous importe plus que l'unité d'opinion des prolétaires sur le paradis du ciel.
Voilà pourquoi, dans notre programme, nous ne proclamons pas et nous ne devons pas proclamer notre athéisme ; (,,,) Nous préconiserons toujours la conception scientifique du monde ; il est indispensable que nous luttions contre l'inconséquence de certains « chrétiens », mais cela ne veut pas du tout dire qu'il faille mettre la question religieuse au premier plan, place qui ne lui appartient pas ; qu'il faille laisser diviser les forces engagées dans la lutte politique et économique véritablement révolutionnaire au nom d'opinions de troisième ordre ou de chimères, qui perdent rapidement toute valeur politique et sont très vite reléguées à la chambre de débarras, par le cours même de l'évolution économique » [19].

En d'autres termes, les marxistes ne sont pas des franc-maçons et ne font pas de fixation sur la question religieuse. C'est une question secondaire qui ne sera résolue au final que par la lutte de classe.

Mais « secondaire » ne signifie pas « négligeable », et une certaine activité antireligieuse est non seulement envisageable mais nécessaire.

« Notre propagande comprend nécessairement celle de l'athéisme » - Lénine [20]

La longue citation ci-dessus permet de conclure sur la question de la place dans le NPA des camarades qui n'ont pas encore pu se libérer de la religion.

Dans un texte récent (malheureusement cosigné par un militant connu du NPA), I. Moussaïd écrit :

« Pourquoi, dès lors, être surpris ou choqués de la présence d'une jeune musulmane sur une de nos listes aux élections régionales ? Tout le monde aurait dû s'en réjouir !
(...) nous avons tous les deux des convictions personnelles que nous estimons totalement compatibles, voire même complémentaires avec notre engagement au NPA. »[21]

Nous avons vu plus haut que ces convictions religieuses n'ont rien de « complémentaire » avec le programme du marxisme - elles sont contradictoires. Cela doit être affirmé sans ambiguïté, et visiblement, la direction locale du NPA n'a pas brillé par sa fermeté sur ce point.

En écrivant ainsi, la camarade montre qu'elle a encore besoin de temps et de formation pour appréhender nos principes. Dire cela n'est pas mettre en cause sa place dans le NPA, le courage dont elle a d'ailleurs fait preuve pourrait utilement inspirer bien des militants du parti,

En tout état de cause, c'est à la camarade d'assumer ses contradictions, elle n'est pas la première à avoir à assumer des tensions de ce type. Nous espérons fermement qu'elle le fera dans un sens positif pour le NPA, étant entendu que nous savons d'expérience que la pratique est essentielle dans ces questions.

Par contre, la question de la présence de camarades affichant leur convictions religieuses sur nos listes électorales est d'une autre nature. Là, il s'agit de représenter le NPA comme collectif, ce qui dépasse le cadre individuel. Pour assumer cette responsabilité, les militants sont en droit de sélectionner ceux d'entre eux qui défendent le mieux son programme, dans sa totalité.

A l'évidence, ce ne peut être le cas de camarades qui croient que les croyances religieuses sont compatibles avec les principes d'un parti militant pour le socialisme, luttant donc par là-même contre toutes les formes d'aliénation, y compris religieuses.

C'est pourquoi nous considérons que la désignation d'I. Moussaïd comme candidate du NPA fut une erreur.

Un parti anticapitaliste, donc antireligieux

Ce long texte a semblé nécessaire pour rappeler un certain nombre de principes mis à mal à l'occasion de cette affaire. Encore une fois, la question en cause n'est pas celle de la place de la camarade I. Moussaïd, mais bien celle de l'identité politique du NPA.

Le fond de la question demeure de savoir si un parti anticapitaliste peut faire autre chose que de manifester son hostilité envers toute religion. Nous considérons quant à nous que ne pas le faire serait abdiquer d'une de nos responsabilités. Ce serait une fois encore se lancer dans la recherche de raccourcis politiques dont on sait d'expérience qu'ils aboutissent au désastre et non à élargir l'assise des révolutionnaires.

On voit donc que cette discussion en rejoint d'autres – par exemple celle relative à la politique suivie par le parti à l'occasion des élections régionales.

Pour dire les choses clairement, en définitive, la question posée est de savoir si le NPA doit être un parti de type révolutionnaire (dont antireligieux) ou pas, et s'il existe des raccourcis pour gagner l'oreille des masses.

L'enjeu du débat est là, et ce n'est pas rien.

Fontenay, le 20.II.2010


Annexe : Jaurès et Marx

Les divers textes de Joshua qui nous sont arrivés ont une caractéristique frappante. Partout, il est question de Jaurès en termes flatteurs. Récemment, il écrivait :

« De toutes nos fibres, nous sommes (nous devrions) être les héritiers de Marx, Engels, Jaurès (on peut y ajouter Lénine facilement d’ailleurs) : tout en maintenant la lutte contre l’obscurantisme sous forme d’éducation populaire, achever la séparation de l’État et des églises, ne pas faire de la religion une fracture au sein du prolétariat (,,,). »

Jaurès n'était pas marxiste. Allant jusqu'à défendre la participation à des gouvernements capitalistes (« le ministérialisme »), ce fut sans doute le meilleur représentant du réformisme en France [22]. Encore aujourd'hui, il sert d'alibi aux dirigeants du PS pour vendre leur politique lorsque ceux-ci se piquent de « théorie ». Bref, on est déjà en droit de se demander s'il est si opportun que cela de se réclamer de Jaurès.

En tout cas, sur ce point, Joshua veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Dans Marianne, il écrit :

« Contrairement à Guesde, le point de vue de Jaurès (bien plus modéré politiquement, mais incontestablement plus proche de Marx sur ce terrain précis) lors du débat sur la loi de séparation en 1905, est qu’il faut non pas chercher à détruire la religion elle-même, mais à « la mettre de côté » pour ainsi dire. » [23]

Dans un autre texte, il a ces lignes étonnantes :

« Jaurès (situé dans la filiation directe de Marx) qui cherche non à détruire la religion (et même pas l’église en fait : il multiplie, les discours, prophétiques, pour convaincre au contraire la hiérarchie catholique qu’admettre la loi de 1905 est sa dernière chance historique, ce qui se révèlera absolument vrai), mais à la mettre de côté (...) » [24]

Ces développements sont des plus discutables - on a vu plus haut qu'il est faux que Marx et Engels n'étaient pas neutres mais hostiles aux religions.

En fait, sur les principes, il y avait si peu de différences entre Marx et Guesde qu'ils rédigèrent ensemble le programme du parti de Guesde, le Parti Ouvrier Français, en 1880, qui comprenait une partie relative aux questions religieuses. Son objectif n'était évidemment pas de « convaincre » curés et bonne sœurs de quoi que ce soit, mais de défendre les revendications suivantes :

« Suppression du budget des cultes, et retour à la Nation des "biens dits de mainmorte, meubles et immeubles, appartenant aux corporations religieuses" (décret de la Commune du 2 avril 1871), y compris toutes les annexes industrielles et commerciales de ces corporations. »

Sur cette base, Lafargue (le bras droit de Marx avec Guesde dans notre pays) présenta une proposition de loi (évidemment rejetée) en décembre 1891, avec le soutien d'Engels [25]. Une proposition similaire fut soumise une seconde fois par un groupe de députés soutenu par Guesde en 1902. Soit dit en passant, on est loin d'une orientation ignorant la question religieuse...

Or ces revendications furent loin d'être totalement satisfaites par la loi de 1905, dont Jaurès fut effectivement l'inspirateur. Le site Internet Herodote.net (qui n'a rien de marxiste ou « laïcard ») en donne une appréciation qui mérite d'être relevées :

« Par cette loi, l'État manifeste sa volonté de neutralité religieuse mais ne s'exonère pas de ses responsabilités. Il veut «garantir» à chacun les moyens d'exercer librement sa religion dans le respect de celles d'autrui. C'est dans cet esprit que sont instituées des aumôneries dans les milieux fermés (casernes, lycées, prisons, hôpitaux)... et, plus tard, des émissions religieuses sur les chaînes publiques de télévision.
L'État n'entend en aucune façon limiter la liberté de conscience ni cantonner la religion à la sphère privée (il n'est pas question par exemple d'interdire le port d'insignes religieux !). (,,,)
Pour les églises, l'opération va s'avérer plutôt profitable (mais on ne s'en apercevra que bien plus tard). En effet, d'une part, les ministres du culte et en particulier les évêques vont gagner en indépendance, n'étant plus tenus de rendre des comptes à l'administration. D'autre part, les églises ne vont plus avoir à leur charge l'entretien très coûteux des édifices religieux (cathédrales, églises, temples,...) préexistant à la loi de 1905. Elles ne devront plus assurer que l'entretien courant de ces édifices... »

Encore plus significatif est le fait que ces lois ne portèrent même pas atteinte à l'enseignement religieux – ça devint même une revendication récurrente du mouvement ouvrier durant tout le XX° siècle.

Joshua se trompe donc en laissant croire que les lois de 1905 aboutirent à « mettre de côté » la religion.

En résumé, l'activité de Jaurès en 1905 est (évidemment !) en cohérence profonde avec son réformisme de toujours, et il n'y a aucune raison de la porter au pinacle.

Un dernier point. Dans l'expression de sa sympathie pour Jaurès, Joshua va jusqu'à écrire, concernant Guesde et Jaurès :

« il ne manque pas de chercheurs qui lient ces débats au ralliement bien plus tard du premier à l’Union Nationale pendant la Grande Guerre d’un côté, au pacifisme internationaliste du second (« opposer la grève générale à la guerre impérialiste », position qui lui coûtera la vie). »

On verra bien qui sont ces chercheurs. Mais en tout cas, sur ce sujet, Trotsky (qui côtoya Jaurès) nous a laissé son opinion :

« La guerre mondiale devait mettre Jaurès face à face avec des questions qui divisèrent le socialisme européen en deux camps ennemis. Quelle position eut-il occupé ? Indubitablement, la position patriotique. » [26]

En résumé, il y eut toujours une opposition radicale entre marxistes et jauressiens et rien n'autorise Joshua à « relativiser » cette opposition.

Par contre, inutile de dire que cette discussion est extrêmement significative du point de vue politique.


[1] La loi Carle, prévoit « la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence ». Il s'agit d'une avancée vers le « chèque éducation » revendiqué par les partisans du démantèlement de l'Enseignement Public.

[2] Notons que personne n'a aidé la camarade à comprendre qu'il y a une différence entre être antireligieux et « islamophobe ». On sait pourtant bien que l'islamophobie est actuellement l'alibi du racisme. Le recours à un tel qualificatif pour caractériser les désaccords internes au NPA pose donc un très sérieux problème éthique.

[3] S. Joshua, J. Fortin : Laïcité, religions (Bull. Com. Quartiers Populaires),

[4] S. Joshua : Une discordance de temps (Internet).

[5] K. Marx, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel.

[6] K. Marx : ibid.

[7] S. Joshua : réponse à Laurent et Mélenchon – Marianne, Février 2010.

[8] Engels, Lettre à C. Schmidt, 27.X.1890.

[9] Engels, Préface à « Socialisme utopique et socialisme scientifique ».

[10] L. Trotsky : L'éducation communiste (1923).

[11] K. Marx : Critique du programme de Gotha.

[12] S. Joshua : réponse à Laurent et Mélenchon – Marianne, Février 2010.

[13] S. Joshua : Une discordance des temps,

[14] K. Marx : ibid.

[15] Lénine : Socialisme et religion.

[16] F. Engels, Le programme des émigrés blanquistes de la Commune.

[17] K. Marx, Critique du programme de Gotha.

[18] Lénine : L'État et la révolution.

[19] Lénine : Socialisme et religion.

[20] Lénine : Ibid.

[21] Lettre ouverte d'Ilham Moussaïd et J Salingue aux militants de la gauche radicale, Février 2010.

[22] Voir l'article que lui consacra Trotsky et où les commentaires élogieux sur ses capacités personnelles ne peuvent faire oublier qu'il était et demeura toujours réformiste.

[23] S. Joshua répond à Laurent et Mélenchon – site internet du NPA.

[24] S. Joshua : Une discordance des temps,

[25] Voir la correspondance entre Engels et L. Lafargue (Dec. 1891).

[26] Trotsky : Jean Jaurès (1915)

Publié dans Politique générale

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