"Représentativité syndicale" : Rejeter la "position commune" CGT-CFDT-MEDEF

Publié le par P. Morsu


Un texte de discussion interne à l'ex LCR.

Téléchargement (pdf)


« Il y a un aspect commun dans le développement ou, plus exactement, dans la dégénérescence des organisations syndicales modernes dans le monde entier : c'est leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d'Etat. » - L. Trotsky, 1940.

Beaucoup a été déjà écrit concernant la « représentativité syndicale ». Malheureusement, nous ne nous retrouvons que partiellement dans ces divers textes.

D'où cette note, écrite dans l'urgence, qui tente d'éclairer sur le projet d'accord, d'une part, sur l'attitude que les militants de lutte de classe doivent adopter, de l'autre.


Le 16 octobre, la CE confédérale de la CGT a donc décidé de soutenir à l'unanimité le « projet de position commune » relatif à la « représentativité syndicale ». Le 24 avril, à la suite d'un débat dont la rapidité ne peut que surprendre, ce vote a été confirmé par le CCN avec une majorité plus restreinte.

Le Figaro caractérise fort justement la signification de ces votes :

« Cette signature est d'autant plus significative que la CGT le fait d'habitude dans une unanimité syndicale. Or, cette fois-ci, elle est la seule avec la CFDT et, côté patronal, avec le Medef et la CGPME. Elle a donc accepté d'être face à eux. Désormais elle devient un syndicat d'engagement puisqu'elle rompt avec la contestation. Elle fait un pari et témoigne d'une bonne volonté dans une démarche totalement inédite.» [1]

On le voit : l'enjeu n'est pas mince.

Comment fonctionne le système actuel de négociations sociales ?

L'ensemble des relations sociales s'appuie sur la notion d'organisations syndicales représentatives, donc en capacité de parler au nom des salariés. La reconnaissance de cette capacité (la présomption irréfragable de représentativité) permet aux syndicats qui en bénéficient de constituer des sections d'entreprise, déposer un préavis de grève (dans le public), désigner des délégués syndicaux (bénéficiant donc de protection), etc. Par ailleurs, seuls les syndicats représentatifs ont accès aux négociations de branche, signent des conventions collectives, accèdent au premier tour des élections professionnelles, etc.

Depuis 1966, 5 confédérations bénéficient de ladite présomption irréfragable de représentativité au plan national interprofessionnel : la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et la CGC. Juridiquement, n'importe laquelle de ces organisations représente l'ensemble des salariés. On sait qu'il y a des cas où la signature de la CFDT seule a permis de valider un accord.

C'est ce qui justifie les critiques faites au système actuel par la CGT, que nous partageons – il est incontestable que celui-ci, mis en place en 1950, a été construit pour affaiblir le syndicalisme de classe, surreprésenter des syndicats pro-patronaux.

Mais ça ne signifie pas que le projet CGT-CFDT-MEDEF du 9.4.2008 soit acceptable. Bien au contraire !

Quels sont les objectifs du projet d'accord sur la représentativité syndicale ?

A tout seigneur, tout honneur, citons Sarkozy sur le sujet. Celui-ci a motivé son soutien au projet :

« Rendre les organisations professionnelles, syndicales et patronales, plus fortes et plus responsables, nous appuyer sur le dialogue social pour conduire les réformes, transformer notre système de relations sociales pour favoriser la négociation collective » [2]

Car Sarkozy y voit une avancée vers « des syndicats forts et responsables », rompant avec « l'affrontement stérile, caricatural, idéologique ».

Le n°2 de la confédération, J.-C. Le Duigou, approuve chaudement :

« Il comprend que nous devons donner une place au dialogue social. Nous nous trouvons à un tournant dans la situation sociale de notre pays. Tout le monde pense que les choses doivent changer. » [3]

Bref, tout baigne. Mais au fait : de quel changement s'agit-il ?

On sait qu'historiquement, le patronat et ses gouvernements se sont appuyés sur FO, puis la CFDT pour faire passer leurs plans, la CGT couvrant « de l'extérieur ».

Mais depuis plusieurs années, la direction CGT s'est engagée dans la voie du syndicalisme d'accompagnement, équivalent syndical du social-libéralisme. De ce point de vue, il faut rappeler son attitude durant le conflit SNCF/RATP d'octobre-novembre. Les bureaucrates de Montreuil ont en effet alors montré qu'ils étaient capables d'aller jusqu'à s'opposer frontalement au mouvement ouvrier.

Sarkozy et Parisot considèrent possible de donner à la CGT le rôle d'interlocuteur privilégié, comme les en supplient Le Duigou et Thibault.

Pour concrétiser ce plan, il a fallu lever bien des réticences côté MEDEF. Une fraction du patronat, concentrée sur l'UIMM, l'UPA...., refusait encore les offres de service cégétistes. Fort opportunément et par le plus grand des hasards, l'affaire de la caisse noire de l'UIMM a permis de mettre de l'ordre dans tout ceci. Parisot a donc eu la voie libre pour permettre la publication du « projet de position commune » CGT-CFDT-MEDEF.

Concrètement, le projet d'accord a deux objectifs principaux.

D'abord et avant tout, susciter un remodelage du paysage syndical dans lequel la CGT, désormais au centre du jeu, prendrait directement en charge la mise en œuvre des plans gouvernementaux et patronaux – le prix à payer étant de balayer la concurrence (FO, CFTC....) à l'exception de la CFDT.

Par ailleurs, il s'agit évidemment de poursuivre la « refondation sociale » chère à l'ex-patron du MEDEF, le baron Sellière. On sait que depuis sa direction, le MEDEF milite pour bouleverser l'équilibre règlementaire, pour « faire primer le contrat sur la loi ». Tout ce qui est statuts nationaux doit dégager !

Contrairement à ce qui se prétend à Montreuil, on retrouve l'ensemble de ces éléments dans le projet.

Aperçu du « projet de position commune » CGT-CFDT-MEDEF

La déclaration de la CE de la CGT du 16 avril, « pour la conquête d'une véritable démocratie sociale », fournit 2 raisons essentielles justifiant l'accord CGT-CFDT-MEDEF :

  • L'acceptation par le patronat du principe du passage à un mode de conclusion majoritaire des accords. 

  • Le mode d'évaluation de la représentativité des organisations syndicales, qui découragerait l' « émiettement syndical ».

Au-delà, le communiqué insiste sur le fait que :

  • Rien ne changerait en ce qui concerne les salariés des petites entreprises.

  • Le patronat n'aurait rien pu obtenir en ce qui concerne le fait de « faire primer le contrat sur la loi. »

Il est donc nécessaire de revenir sur ces aspects en détail – on verra qu'il n'y a aucune raison de partager le bonheur du des membres de la CE.

Accords majoritaires : attention, danger !

Dans son article déjà cité, Sarkozy nous fait le coup de la démocratie :

« Aujourd'hui, les accords, qu'ils soient conclus au niveau de l'entreprise, de la branche ou au niveau national interprofessionnel, ne paraissent pas toujours très légitimes aux yeux des salariés, car il suffit en pratique d'une signature syndicale et d'une signature patronale pour qu'ils s'appliquent à tous. Il est temps d'exiger aujourd'hui des majorités qualifiées, voire dans certains cas un accord majoritaire. » [4]

La direction cégétiste ne dit pas autre chose. La CE se félicite en effet de la fin d'un dispositif visant à « contourner l'influence réelle de la CGT » et y voit une avancée décisive vers « la démocratie sociale ».

Pourtant, en allant y regarder de plus près, on est en droit de devenir franchement inquiet. Parlant du système actuel, Le Duigou dévoile ses objectifs :

« C’est un système qui ne nous encourage pas à prendre nos responsabilités (...) Nous pouvions tranquillement rester à l’écart. Nous pouvions laisser une minorité signer, puis critiquer un accord. La posture prise par la CGT s'est largement appuyée sur ce système. » [5]

En clair, la direction cégétiste se désole d'être marginalisée, de ne pouvoir prendre en charge la remise en cause des acquis – c'est actuellement le cœur de la « politique contractuelle ».

A partir de là, tout militant de lutte de classe un tant soit peu lucide aura compris qu'un mauvais coup se prépare. Le projet d'accord prévoit en effet le dispositif suivant (§5) :

« la validité des accords collectifs sera subordonnée, au niveau des branches professionnelles et au niveau national interprofessionnel, à leur signature par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli seule ou ensemble au moins 30 % des suffrages valablement exprimés au niveau considéré et à l'absence d'opposition des organisations syndicales ayant recueilli la majorité des suffrages valablement exprimés.(...)
Cette même règle transitoire sera applicable dans les entreprises au I° janvier 2009 (...) »

Pour comprendre ce qui se joue, prenons un cas hypothétique : celui d'une entreprise où le patron propose un accord salarial inacceptable (+2 % p. ex.). Supposons par ailleurs que dans cette entreprise, la CFDT recueille 25% des voix et la CGT 40%.

Dans le système actuel, en règle générale, la CFDT finit par signer, la CGT dénonce cette collaboration – mais entre temps les travailleurs reçoivent quand même cette augmentation (certes insuffisante).

Dans le système projeté, la signature de la CFDT ne suffirait pas (il faut 30% des voix). Donc la CGT serait l'objet de toutes les pressions, de la part des travailleurs de l'entreprise eux-mêmes, pour qu'elle signe.

C'est donc une modification profonde des formes de la collaboration de classe, des rapports entres syndicats, patrons et gouvernements qui se profile avec le projet CGT-CFDT-MEDEF. Au bout du processus, il y a une CGT domestiquée, soumise aux exigences capitalistes.

Un éditorialiste – par ailleurs membre de la commission Attali – écrivait que le contenu du projet d'accord « mise sur une CGT réformiste » [6]. C'est effectivement incontestable et permet de mesurer l'enjeu de ce qui se joue sur cette question.

Méthode d'évaluation de la représentativité : petits arrangements entre amis
La mesure d'audience

La direction syndicale se félicite aussi du mode d'évaluation de la représentativité envisagée dans le projet. La fameuse « présomption irréfragable de représentativité » serait supprimée au profit d'un système où une organisation serait déclarée représentative sur la base de 7 critères, le principal étant l'audience.

Tout ceci n'a rien d'anodin non plus.

A tous les niveaux (entreprise, branche, national), la représentativité d'une organisation serait mesurée «  sur la base des résultats consolidés des élections au comité d'entreprise ou de la délégation unique de personnel » (§2-1 du projet d'accord), le seuil à atteindre étant fixé à 10% des voix (§2-2), 8% au niveau des branches. Enfin, cette audience sera revalidée tous les quatre ans.

La mesure d'audience s'appuierait donc sur les résultats d'élections auxquelles plus d'un salarié sur deux n'a pas accès, largement déconnectées des enjeux nationaux. Les travailleurs désirant voter pour un syndicat absent de leur entreprise (cas fréquent pour les « petits » syndicats type SUD ou FO) s'en verraient empêchés.

On notera que ce choix a été fait en toute conscience : la direction CGT « revendique » de ne pas utiliser les élections prud’hommales pour la mesure d'audience syndicale. Elle « revendique » au contraire un mode d'évaluation « au plus près de l'entreprise », c'est-à-dire aussi déconnecté des enjeux nationaux que possible [7].

Le plus grave dans tout ceci est que ce système fragilise considérablement l'activité syndicale dans les entreprises et risque d'accélérer la désertification syndicale ! Actuellement, nous avons un système partant du sommet et permettant à toute organisation représentative nationalement de bénéficier des facilités correspondantes dans une entreprise, quelle que soit son influence locale. Désormais, toute section syndicale sera en sursis permanent. Comment ne pas imaginer que dans nombre d'entreprises, les patrons auront beau jeu de multiplier les pressions pour empêcher que tel ou tel syndicat n'obtienne les fameux 10% des mandats ?

Mais ce n'est pas tout.

« Un système qui consolide les forts et met les faibles à l'épreuve » (Le Monde)

Le système envisagé a d'autres avantages pour les stratèges de Montreuil.

  • D'abord il permet de balayer ses concurrents actuels, en premier lieu FO : avec un seuil de 10% [8], cette confédération serait écartée de nombre d'entreprises et de branches. Elle sera de fait recentrée sur ses « bastions » de la Fonction Publique.

  • Par ailleurs, il est clair que dans un tel contexte l'entrée de SUD (syndicat dont la montée donne des sueurs froides à Montreuil...) dans les négociations de branche n'est pas pour demain... Il met donc la bureaucratie de la centrale de Montreuil à l'abri de la pression qu'exerce le développement de cette organisation dans bien des entreprises (exemple : la SNCF).

Ce système est donc une arme de plus dont se dote l'appareil contre l'intervention des militants de lutte de classe, dont l'intervention se deviendrait encore plus malaisée.

On remarquera par contre que le mécanisme envisagé facilite la reconnaissance de syndicats maison, construits de façon plus ou moins spontanée. Au sein d'une entreprise donnée, il suffira à un regroupement de dépasser le seuil (10% pour l'instant) pour être déclaré représentatif, ce qui est impossible dans le cadre de la loi de 1950.

Le cas des salariés de TPE/PME

On a aussi vu plus haut que l'un des axes forts du MEDEF consiste à permettre que des non-syndiqués signent des accords d'entreprise dans les entreprises ne disposant pas de représentation syndicale, surtout les PME.

Avec la position commune CGT-CFDT-MEDEF, de nouvelles avancées dans cette voie seront effectués, en particulier pour les entreprises de moins de 200 salariés. L'« évaluation du projet de position commune » faite par la délégation CGT indique explicitement :

« Le patronat demandait la généralisation de la possibilité de négocier directement avec les élus non syndiqués en levant l'obstacle de l'autorisation préalable par accord de branche. Le texte final limite cette possibilité aux entreprises de moins de 200 (salariés -NR) et l'encadrement par deux dispositions importantes : la restriction de l'objet de ces négociations, l'obligation d'information préalable des organisations syndicales (...) »

Certes le MEDEF n'a pas vu non plus sa revendication totalement satisfaite. Il n'en demeure pas moins que le texte élargit les possibilités de négociations entre patrons et salariés non syndiqués - en fait on peut considérer que cette clause signifie que les organisations syndicales renoncent à s'implanter dans les entreprises de moins de 200 salariés.

Il est donc faux, comme l'affirme le négociateur de la CGT, que « le texte de la position commune n'aggrave pas les entorses au principe d'exclusivité syndicale » [9].

Contrat et loi

La direction confédérale cherche aussi à rassurer les militants à propos des accords dérogatoires : le projet ne reprendrait pas la revendication patronale d'extensions d'accords dérogatoires au code du Travail. Il suffit pourtant de lire le §17 pour voir que tout ceci n'est pas si vrai :

« Des accords d'entreprise conclus avec des organisations syndicales représentatives et ayant recueilli la majorité absolue des voix aux élections des représentants du personnel peuvent dès à présent, à titre expérimental, préciser l'ensemble des conditions qui seront mises en œuvre pour dépasser le contingent conventionnel d'heures supplémentaires prévu par un accord de branche antérieur à la loi du 4 mai 2004, en fonction des conditions économiques dans l'entreprise et dans le respect des dispositions légales et des conditions de travail et de vie qui en découlent. »

Contrairement à ce que prétend Montreuil, là aussi, le patronat ouvre une brèche destinée à être élargie ultérieurement.

En défense du syndicalisme de classe : rejeter l'accord CGT-CFDT-MEDEF

Notre travail ne prétend pas à l'exhaustivité. Mais les éléments fournis démontrent sans ambigüité que le projet de position commune concocté par la CGT et le MEDEF (avec la CFDT à la place du mort) doit être combattu avec la dernière énergie.

Comment pourrait-il en être d'ailleurs autrement d'un texte si chaudement soutenu par Sarkozy soi-même, par un patronat aussi rétrograde ?

En fait ce texte n'a été possible qu'à cause de la collaboration cynique de l'appareil syndical d'une part, du gouvernement et du patronat de l'autre. Il faut le répéter : ces tractations se sont faites contre la CGT, contre le syndicalisme de classe, et en dernière analyse contre la classe ouvrière.

Cet épisode démontre une fois de plus que l'action contre le gouvernement, contre le patronat et celui à mener vis-à-vis de l'appareil sont inséparables, même si leurs modalités diffèrent.

Si ce train de mesures passe dans la vie, il est clair que la capacité de la CGT à être au centre de la résistance aux attaques patronales et gouvernementales sera largement amoindrie. Un pas décisif aura été fait vers le syndicalisme d'accompagnement, vers ce rapprochement avec l'État qu'évoquait déjà L. Trotsky en son temps. L'enjeu n'est donc pas mince.

D'ores et déjà, dans de nombreux secteurs, des interrogations s'expriment. Certaines équipes syndicales ont d'ores et déjà pris position contre le projet d'accord – la fédération de la Chimie, le syndicat de Radio France, celui du Crédit Agricole des Alpes de Haute Provence.... Avec elles nous devons, affirmer haut et fort

Non au « projet de position commune » CGT-CFDT-MEDEF sur « la représentativité syndicale »

En fait tout indique que B. Thibault et Le Duigou savaient que cet accord génèrerait des réactions. D'où leur passage en force. Déjouer la manœuvre nécessite d'intervenir autour de l'exigence de

Retrait de la signature CGT

Sur cette base, l'organisation d'une authentique discussion interne au sein de la CGT, conclue par un CCN extraordinaire, serait rendue possible.

Dans le cadre d'une telle discussion, il reviendrait aux militants de lutte de classe de se prononcer avec fermeté, contre tous les démagogues, pour le

maintien de la présomption irréfragable de représentativité

et pour la

rénovation de la liste des syndicats représentatifs

selon des modalités à convenir, par exemple en s'appuyant sur les résultat des prochaines élections prudhommales. En tout état de cause, les manœuvres doivent cesser, le droit des organisations comme SUD, ou la FSU doivent être garantis.


[1] Le Figaro, 29.03.2008.

[2] Le Monde, 19.04.2008.

[3] Ibid.

[4] Le Monde, 19.04.2008.

[5] Financial Times, 18.04.2008.

[6] Le Monde, 27.04.2008.

[7] Cf. Interview de M. Doneddu (négociateur CGT) au site internet Rue89, 31.03.2008.

[8] Rien n'indique d'ailleurs que le projet de loi final ne remonterait pas ce seuil....

[9] Introduction au débat de la CE de la CGT du 16.04.2008 par M. Donnedu.


Publié dans Syndicalisme

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article