Charte d’Amiens, "indépendance syndicale" : peut-on s’en réclamer ?

Publié le par P. Morsu

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Les débats du congrès du NPA ne peuvent ignorer la question des rapports que le nouveau parti entend établir (ou pas) avec le mouvement syndical. Si cette discussion est encore très fragmentaire, un certain nombre d’indications peuvent nous permettre de voir où vont les choses. Ainsi, la commission « salariés » du NPA a publié lors des universités d’été 2008 un document sur les rapports Parti-Syndicats qui doit retenir l’attention.

Évoquant la Charte d’Amiens, la commission affirme « se réclamer de sa tradition » et précise concernantl’intervention révolutionnaire dans les syndicats que « nous refusons une conception d’intervention dans les organisations syndicales en fraction ».

Cette position n’a d’ailleurs rien d’original : la direction lambertiste, notamment, s’est fait une spécialité de faire de cette Charte et de la notion d’ « indépendance syndicale » une valeur quasi-mythologique.

Cela n’enlève rien au caractère erroné de ces positions, comme on va le voir.

Partis et syndicats : brefs rappels

Une certaine imagerie trotskysante tend à présenter la constitution du mouvement ouvrier comme répondant à des configurations différentes selon les pays, que les syndicats aient suscité la constitution du parti ouvrier (Grande-Bretagne), que ce soit l’inverse (Allemagne), ou que les 2 organisations aient fonctionné indépendamment (France).

S’en tenir à ces faits incontestables interdit de comprendre d’ou vient une telle situation. La réalité, c’est que partout, les communistes ont milité pour la constitution d’authentiques partis ouvriers, marxistes, et que cette activité a connu des fortunes diverses.

Si l’objectif fut atteint en Allemagne (non sans « impuretés » - voir la Critique du programme de Gotha de Marx [1], la situation s’avéra différente d’un pays à l’autre.

Ainsi, dans le cas anglais, la constitution d’un parti social-démocrate « classique » ne put se réaliser. Il y eut bien une éphémère Social-Democratic Federation, mais elle ne put jamais se transformer en véritable parti de masse. L’audience gagnée ensuite par l’ILP (le Parti Ouvrier Indépendant) demeura aussi limitée [2]. Dans ces conditions, le Trade Union Congress pouvant de moins en moins opérer sans correspondant politique et parlementaire, il s’engagea dans la voie de la constitution d’un Labour Representation Committee préfigurant l’actuel Labour Party [3].

Le cas de la France est encore différent.

On sait qu’au tournant du XX° siècle, le marxisme n’avait pas encore acquis la suprématie dont il bénéficiait dans un pays comme l’Allemagne. Le réformisme fut toujours très fort (voir l’influence possibiliste, jauressienne, etc.) au sein du mouvement socialiste. Ce n’est pas un hasard si c’est en France qu’apparut le « ministérialisme », orientation qui justifiait l’entrée d’un socialiste, Millerand, dans un gouvernement bourgeois (1899).

Les marxistes étaient quant à eux organisés au sein du Parti Ouvrier Français de Guesde et Lafargue, et dont Marx avait rédigé le programme. Mais le POF ne put jamais s’assurer de positions dominantes au sein du mouvement ouvrier.

C’est dans ces conditions que l’unité socialiste se réalisa en 1905. Le PS, Section Française de l’Internationale Ouvrière fut créé comme parti « de lutte de classes et de révolution ». Il n’empêche que le nouveau parti était travaillé par de forts courants réformistes.

La CGT, elle, avait été constituée en 1895, essentiellement sous la direction d’anarchistes de diverses nuances. Il allait revenir au congrès d’Amiens (1906) de prendre en compte la nouvelle situation créée par l’apparition de la SFIO : quels rapports allait entretenir la confédération avec le nouveau parti ?

Marx-Engels et la question syndicale

A ce stade, un rapide rappel des conceptions de Marx-Engels à ce propos s’impose.

Pour ceux-ci, un parti socialiste est une organisation politiquement délimitée par son programme : il intervient sur cette base et tente de le mettre en œuvre.

A l’opposé, un syndicat a vocation à regrouper quiconque veut participer à l’action en défense des intérêts «matériels et moraux » de la classe ouvrière – il n’a pas d’autre délimitation. Mais en regroupant toujours plus largement, les syndicats dépassent inévitablement leur rôle initial, étroitement revendicatif, et deviennent « des centres organisateurs de la classe ouvrière, de même que les communes et les municipalités du Moyen-Age en avaient constitué pour la classe bourgeoise. » [4]

A partir de là, on entre dans « le politique ». En défendant de telles conceptions, Marx allait s’opposer frontalement au trade-unionisme, alors défendu par les dirigeants syndicaux britanniques (et dont, en France, la direction de FO s’est faite le symbole depuis).

Les marxistes ne peuvent que s’opposer à une méthode politique tendant à réserver l’intervention sur les questions politiques au parti ouvrier (ou, symétriquement, que ce dernier se désintéresse des revendications). Marx revendiquait même explicitement que les syndicats « fassent de la politique » :

« Les trade-unions agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètements du capital. (...) Elles manquent entièrement leur but dès qu’elles se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition définitive du salariat. » [5]

Sa méthode politique, c’est celle de l’unité des organisations appartenant au mouvement ouvrier contre le Capital :

« ils (les syndicats - NR) doivent maintenant agir sciemment comme foyers organisateurs de la classe ouvrière dans le grand but de son émancipation radicale. Ils doivent aider tout mouvement social et politique tendant dans cette direction. » [6]

Ultérieurement, Engels sera encore plus précis, dans son fameux article sur les syndicats (Labour Standard, 4.VI.1881). Constatant l’évidence, à savoir que

« une lutte entre deux grandes classes de la société devient nécessairement une lutte politique. Il en est allé ainsi de la longue bataille entre la classe moyenne ou capitaliste et l’aristocratie foncière ; il en va également ainsi du combat entre la classe ouvrière et ces mêmes capitalistes. »

Il en déduisait la grande continuité politique du mouvement qui va de la défense des revendications « élémentaires » jusqu’à la conquête du pouvoir politique.

« (...) il y a deux aspects que les syndicats devraient prendre en considération, premièrement que le moment où la classe ouvrière de ce pays revendiquera avec force sa pleine représentation au Parlement arrive rapidement. Deuxièmement, que le moment où la classe ouvrière comprendra que la lutte pour les salaires et la réduction du temps de travail, l’ensemble de l’action des syndicats telle que menée actuellement, n’est pas une fin en soi mais un moyen, un moyen tout à fait nécessaire et utile, mais seulement un moyen parmi d’autres d’arriver à l’objectif ultime : l’abolition du salariat.
Pour une pleine représentation parlementaire comme pour la préparation de l’abolition du salariat, des organisations deviendront nécessaires., pas des syndicats cloisonnés, mais pour organiser la classe ouvrière comme un tout. »

On est loin des chimères de l’« indépendance syndicale »....

Amiens – ce qui s’y est vraiment déroulé

Le débat sur la question des rapports Parti-Syndicat est évidemment cadré par le contenu de la Charte d’Amiens (1906), document fondateur du syndicalisme français (mais récemment abandonné par la CGT – sa direction actuelle ne pouvant tolérer un texte qui se prononce pour l’expropriation du Capital).

Le contenu du texte lui-même ne peut se comprendre qu’en ayant à l’esprit les conditions dans lesquelles se tint le Congrés. On trouve l'ensemble des informations nécessaires dans une brochure relative au congrès d’Amiens publiée par l'Institut d’Histoire Sociale de la CGT.

Pour l’essentiel, 3 courants étaient présents au Congrès.

  • Les libertaires (Griffuelhes, Monatte...) défendaient une orientation de stricte indépendance vis-à-vis du Parti Ouvrier, étant entendu qu’ils attribuaient au syndicat le rôle central dans le processus d’expropriation du Capital. Rappelons qu’au cœur des conceptions anarchistes, il y a le refus de combattre pour le pouvoir, donc de la lutte politique....

  • Une fraction réformiste très active existait aussi alors (Fédération du Livre, etc.). Elle s’inspirait          largement de la ligne suivie par les dirigeants syndicaux britanniques. Ayant soutenu Millerand et le ministérialisme, les réformistes militaient aussi pour la neutralité politique de la CGT, la séparation totale de la CGT et du mouvement socialiste au nom de ce que « l’action parlementaire doit se faire parallèlement à l’action syndicale ».

  • A l’opposé, les marxistes (guesdistes), dirigés par V. Renard (de la fédération du Textile) se prononçaient pour « entretenir un courant de sympathie entre tous ceux qui défendent la classe ouvrière », permettant de réaliser l’expropriation capitaliste.

On voit que les positions libertaires et réformistes sur la question-clé des relations CGT-SFIO, le cœur du  débat, étaient proches. Les seconds finirent donc tout naturellement par se rallier aux premiers contre les marxistes, et le projet de Charte fut rédigé par une équipe associant les deux parties. C’est cette alliance qui permit l’adoption de la Charte à une majorité écrasante (736 voix contre 34 à la motion guesdiste).

La Charte d’Amiens : un document réformiste

Un certain nombre de militants de lutte de classe justifient leur soutien à la Charte d’Amiens par sa définition des tâches du syndicalisme. Certes, la Charte charge à juste titre le syndicalisme d’une « double besogne ».

Au-delà de la lutte pour les revendications immédiates, le syndicat

« prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste; il préconise comme moyen d’action la grève générale (...) »

Là réside le côté « radical » de la Charte, abstraction faite de l’obsession anarchiste pour la grève générale, présentée comme le moyen exclusif d’exproprier le Capital (ce qui n’est pas le cas – cf. la Russie, Cuba, etc.).

Mais comment ignorer que selon la Charte, la CGT

« affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. »

En clair, « la politique, hors des syndicats ». Et plus loin :

« le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale ».

Au nom de l’ « indépendance syndicale », c’est le refus par principe de l’unité parti-syndicat contre le Capital – ce qu’on appelle de nos jours le Front Unique.

Ces deux points furent le socle permettant l’alliance entre la direction cégétiste et les réformistes. Satisfaits sur l’essentiel, ceux-ci purent se rallier à la Charte, se limitant à émettre des « réserves » en ce qui concerne une « expropriation capitaliste » qui n’était certes pas leur tasse de thé (mais n’avait guère d’implication pratique).

Face à ce bloc anarcho-réformiste, il y eut donc les guesdistes. On en dit souvent grand mal, et c’est un fait que les élaborations de Guesde furent bien souvent criticables. Pourtant, à la lecture des débats du congrès, de la motion soumise au vote, on se demande bien ce qu’un marxiste aurait pu en critiquer. Ce qui sous-tend la motion guesdiste, c’est de

« s’entendre toutes les fois que les circonstances l’exigeront, soit par des délégations intermittentes, ou permanentes avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières. »

Ce qui est inattaquable d’un point de vue marxiste.

En fait, le résultat du congrès d’Amiens, c’est d’abord l’échec des marxistes français à faire triompher leurs conceptions au sein du mouvement syndical.

Socialistes et « l’indépendance syndicale »

Évidemment, les conceptions véhiculées par la Charte ne pouvaient être reprises par une Internationale socialiste encore dominée par un marxisme, certes plus ou moins superficiel.

Dès 1900, Kautsky avait repris le flambeau de Marx-Engels dans sa brochure « Politique et syndicats ». Ce texte, rédigé contre les conceptions de neutralité/autonomie qui avaient cours au sein du mouvement ouvrier britannique, défendait la conception « allemande » :

« Ce n’est pas l’éloignement des syndicats du parti socialiste, mais une action commune de plus en plus intime de ces deux éléments que le développement industriel rend de plus en plus nécessaire. Cette tactique n’est nullement en contradiction avec la nature du mouvement syndical (...)
Moins il (le prolétariat – NR) a à attendre des divisions de ses adversaires, plus il doit réunir contre eux toutes ses forces pour une action commune et méthodique. Son mot d’ordre doit être concentration, et non neutralisation ou isolement de ses forces. Si l’action politique peut soutenir l’action syndicale, l’inverse est également possible (...) »

Mais c’est au congrès international de 1907 (Stuttgart) qu’il revint de débattre de la question des rapports syndicat-parti, dans la foulée du congrès d’Amiens. Lénine a laissé un compte-rendu (« Le congrès socialiste international de Stuttgart », sept. 1907) de ces débats. Comme on peut s’en douter, il se situe dans la ligne définie plus tôt par Kautsky. Significativement, le cas français fut évoqué :

« la majorité de la délégation française s’employèrent à l’aide d’arguments assez malheureux à justifier une certaine limitation de ce principe en se référant aux particularités de leur pays. Mais l’écrasante majorité du congrès se prononça pour une politique résolue d’union de la social-démocratie et des syndicats... »

Lénine commente :

« la question s’est trouvée, au fond, posée de la façon suivante : neutralité ou relations toujours plus étroites des syndicats avec le parti ? Le congrès socialiste international (...) s’est prononcé en faveur du rapprochement entre les syndicats et le parti. »

Cette conception s’appuyant sur la nécessité de lier combat politique et économique, dans la lignée de ce que Marx et Engels avaient déjà dégagé. Conclusion :

« En évitant toute imprudence, toute précipitation et tout faux pas tactique, nous devons travailler inlassablement au sein des syndicats afin de les rapprocher sans cesse du parti social-démocrate. »

Communisme et « indépendance syndicale »

A partir de 1917, le communisme émerge dans un contexte où l’essentiel du mouvement syndical s’est vautré dans l’Union sacrée. En France même, le secrétaire général de la CGT, Jouhaux, a été « délégué à la Nation » - bonjour l’ « indépendance syndicale » ! Partout, aussi, les communistes sont une minorité, plus ou moins influente, du mouvement syndical qui combat ouvertement – et en quels termes ! - la bureaucratie syndicale.

Dans ces conditions, la jeune Internationale Communiste fut amenée très rapidement à structurer son activité au sein du mouvement syndical. L’obsession de sa direction fut de barrer la route aux arrivistes en tout genre, à ces (semi-)bureaucrates prêts à toutes les déclarations « radicales » pour peu qu’elles ne les engagent pas. D’où les fameuses « 21 conditions » que tout parti désireux d’entrer à l’IC devait remplir. La condition 9 indique :

« Tout Parti désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l’ensemble du Parti. »

L’opposition aux conceptions de la Charte d’Amiens devient donc radicale, principielle, même si la porte du PC fut largement ouverte aux militants issus de l’anarcho-syndicalisme. L’important est que pour les communistes, la constitution de fractions était une question de principe, non négociable.

Et au-delà du vocabulaire, certes daté, la nécessité d’une organisation ad-hoc des révolutionnaires dans lessyndicats nous semble toujours aussi incontournable. Quel militant ouvrier d’aujourd’hui ignore le rôle d’un Thibault, d’un Aschiéri, dans le dispositif de Sarkozy et du MEDEF ? Comment ne pas comprendre qu’il n’y pas de combat contre le gouvernement sans combat contre les directions syndicales ? Enfin, comment mener une telle activité sans organisation sérieuse ?

« Indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l’Etat capitaliste »

Ajoutons que ces conceptions furent réaffirmées par Trotsky, après son expulsion d’URSS. Dans un premier temps, celui-ci fut très prudent, désireux qu’il était de gagner à l’Opposition de Gauche Monatte et ses proches (celui-ci avait été l’un de ceux qui avaient formalisé les principes de la Charte).

Mais vint le moment où il fallut bien constater l’incompatibilité des positions respectives. Dans son magistral texte de 1929, « syndicalisme et communisme » (qu’il faudrait totalement citer), Trotsky solde la discussion avec « syndicalistes-révolutionnaires ». Il affirme l’évidence lorsqu’il écrit :

« Les faits démontrent que des syndicats politiquement “indépendants” n’existent nulle part. Il n’y en a jamais eu. L’expérience et la théorie indiquent qu’il n’y en aura jamais. Aux Etats-Unis, les syndicats sont directement liés par leur appareil au patronat industriel et aux partis bourgeois. En Angleterre, les syndicats, qui dans le passé ont principalement soutenu les libéraux, constituent maintenant la base du parti travailliste. (...). »

Partant de là, il ne peut que réaffirmer le B-A-BA de la politique communiste dans les syndicats :

« La véritable autonomie, pratique et non métaphysique, de l’organisation syndicale n’est ni perturbée ni diminuée par la lutte d’influence du parti communiste. Chaque syndiqué a le droit de voter comme il le juge utile et d’élire celui qui lui semble le plus digne. Les communistes possèdent ce droit comme les autres.
La conquête de la majorité par les communistes dans les organes directeurs se fait dans le respect des principes de l’autonomie, à savoir la libre autogestion des syndicats. D’autre part, aucun statut de syndicat ne peut empêcher ou interdire le parti d’élire le secrétaire général de la Confédération du travail à son comité central, puisque ici nous sommes entièrement dans le registre de l’autonomie du parti.(...) »

Ultérieurement, dans un texte inachevé mais crucial, « Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste », Trotsky définit la seule « indépendance syndicale » qui vaille à ses yeux :

« Le mot d’ordre essentiel dans cette lutte est : indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l’Etat capitaliste. »

L’Histoire a montré toute la valeur de cette remarque : les processus de rapprochement/intégration syndicat-État se sont surtout développés après 1945. Par contre, on notera que cet aspect de la question est, contrairement à ce qui est souvent dit, absent de la Charte d’Amiens.

Enfin, les trotskystes qui croient possible de voir dans cette Charte un point d’appui feraient bien de méditer la conclusion de ce document :

« Il est un fait certain que l’indépendance des syndicats, dans un sens de classe, dans leur rapport avec l’État bourgeois, ne peut être assurée, dans les conditions actuelles, que par une direction complètement révolutionnaire qui est la direction de la IV° Internationale. Cette direction, naturellement, peut et doit être rationnelle et assurer aux syndicats le maximum de démocratie concevable dans les conditions concrètes actuelles. Mais sans la direction politique de la IV° Internationale, l’indépendance des syndicats est impossible. »

Pour l’unité partis-syndicats contre le Capital

Il nous semble avoir amplement démontré que le contenu et la méthode de la Charte d’Amiens s’opposent aux méthodes et conclusions de tous les théoriciens du socialisme.

Certes, depuis, il y a eu le stalinisme, la chape de plomb que ses méthodes bureaucratiques ont fait peser sur la CGT - de ce point de vue, d’ailleurs, Thibault et Le Duigou ne déméritent pas de leurs prédécesseurs. C’est en s’appuyant sur les méthodes introduites par le stalinisme que les défenseurs de l’ « indépendance syndicale » avancent leurs thèses. Elles n’en sont pas moins erronées.

Il n’est pas vrai que restaurer les normes de la démocratie ouvrière et syndicale dans la CGT implique d’imposer que le Confédération adopte une orientation de neutralité politique.

Tout militant sait que l’« indépendance » si chère à Thibault-Le Duigou, Mailly et/ou Aschiéri, c’est du bidon. Ce n’est que l’alibi de leur orientation de neutralité politique, qui les mène toujours plus loin dans la voie de la collaboration ouverte avec Sarkozy et le patronat.

Aucun militant de lutte de classe n’a a prendre ces simagrées au sérieux. Bien au contraire, le refus du « dialogue social » c’est l’action pour disposer de syndicats qui s’opposent au gouvernement au lieu d’en êtreles partenaires. C’est inévitablement un combat politique, même si sa forme doit épouser le cadre où elle se mène.

Or une telle activité doit être organisée : elle ne peut se mener spontanément. Refuser par principe d’organiser des fractions dans le mouvement syndical revient à renoncer à s’affronter aux directions syndicales, à l’heure où celles-ci collaborent comme jamais avec le Capital.

En bref, tant du point de vue conjoncturel que du point de vue des principes, le NPA doit centraliser l’activité de ses militants dans le mouvement syndical.

On voit que cette discussion n’a rien d’académique.


Notes

[1] On sait que le programme dont s’était doté le parti socialiste allemand avait était vertement critiqué par Marx. Au-delà des succès numériques incontestables acquis par ce parti, comment ne pas voir un lien entre les conditions politiques de sa constitution et la rapide apparition de courants centristes, réformistes, voire ouvertement anti-marxistes en son sein ?

[2] Kautsky évaluait le nombre d’adhérents de la SDF à 9 000, de l’ILP à 13 000. Voir son article Politique et syndicats (Internet).

[3] Voir R. Sewell : In the name of Labour (Wellred, Internet).

[4] Résolution de la I° Internationale, 1866.

[5] Salaire, prix et profit, 1865.

[6] Résolution de la I° Internationale, 1866.

Publié dans Syndicalisme

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